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Le statut phénoménologique du phénoménologue Marc Richir wikipedia La refonte de la phénoménologie que nous entreprenons requiert que nous posions du même coup la question du statut que peut y avoir le phénoménologue : quelle est la Spaltung phénoménologique dont parlent Husserl et Fink : comment s’effectue l’épochè phénoménologique hyperbolique, et pour peu que la question ait un sens, qui l’effectue ? Si l’on admet, comme Husserl et Fink, que celui qui déploie l’analyse phénoménologique est « sujet phénoménologisant », en quoi consiste, suite à la refonte, la « phénoménologisation » ? Et en quoi diffèret-elle de la phénoménalisation ? En première approximation, et comme titres de problèmes, on peut dire que l’épochè phénoménologique hyperbolique, qui opère un suspens universel de tout ce qui se « présente » sans exception, ouvre à ce que nous nommons le champ phénoménologique, c'est-à-dire au champ des phénomènes comme rien que phénomènes – où l’illusion fait partie intégrante du phénomène –, à savoir à leur phénoménalisation, tandis que leur analyse, qui dans la refonte, est architectonique, définit ce qui est pour nous la phénoménologisation, la reprise de tout ce qui se « présente » en termes de phénoménologie. La question est dès lors aussitôt celle de l’articulation de l’une à l’autre, et ce, à travers une certaine transformation, elle-même architectonique, du statut du phénoménologue, ce dernier constituant leur lien. Certes, le phénoménologue est, au départ, un homme de chair et d’os, vi- transcendantale. Pour lui, pratiquer l’épochè phénoménologique hyperbolique, c’est évidemment la pratiquer aussi à l’égard de lui-même, c'est-à-dire, non seulement mettre en parenthèses l’attitude naturelle, mais aussi son Leibkörper, qui l’incarne et le situe dans l’intersubjectivité – c’est pratiquement, quel que soit le paradoxe, se « désincarner » (Fink disait : se « déshumaniser »), mettre hors circuit son « espace » du dedans pour s’éveiller, par une sorte d’attention librement flottante, aux phénomènes comme rien que phénomènes qui « apparaissent » tout revistadefilosofia.org körper et plongé dans l’intersubjectivité dans sa double dimension empirique et eikasia vant, comme dit Husserl, dans l’attitude naturelle, à savoir incarné dans un Leib- 93 SEPTIEMBRE 2 0 1 1 Le statut phénoménologique du phénoménologue ⏐ Marc Richir d’abord comme rien(s), comme ombres. De la sorte, il ne peut plus être question de « moi », mais de soi certes « pourvu » d’un Leib, et d’une certaine intimité qui est celle du contact de soi à soi en et par écart, et d’un soi foncièrement mobile, en incessant devenir, désindividué et délocalisé, sans dedans ni dehors au sens classique, circulant dans le champ phénoménologique sans rien poser, même au passage. Sa version traditionnelle est l’esprit, tel au moins que le définit Hegel dans sa Phénoménologie, c'est-à-dire aussi bien la « conscience philosophique » de l’ « Introduction ». En ce sens, on pourrait dire, mais nous y reviendrons, que l’architectonique est pour nous l’équivalent transposé de la dialectique, le « Moteur » n’étant certes pas l’Aufhebung, mais la Fundierung qui fait passer d’un registre architectonique à un autre sans qu’il y ait, pour autant, progression (« dépassement »), enchaînement réglé par des enrichissements successifs en contenus. Et cela, principalement, parce que le soi qui ressort de l’épochè hyperbolique n’est à vrai dire plus proprement celui de l’esprit – et cet esprit est divin – mais relève d’une multiplicité originaire qui est celle de l’interfacticité transcendantale, laquelle est en fait, au sens fort, utopique. Autrement dit, en se suspendant jusque dans la position de son existence, ce soi se retrouve, il nous faudra le montrer, comme l’un ou l’autre des soi de l’interfacticité transcendantale, de ceux qui, préc