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Michel Foucault
à
Histoire de la folie l'âge classique
Gallimard
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Ce livre a paru précédemment dans la Bibliothèque des Histoires» en 1972.
«
Tous droits
traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays. © Éditions Gallimard, 1972.
de
PRÉFACE
Je deyrais, pour ce liyre déjà yieux, écrire une nouyelle préface. J'ayoue que j'y répugne. Car j'aurais beau faire: je ne manquerais pas de youloir le justifier pour ce qu'il était et le réinscrire, autant que faire se peut, dans ce qui se passe aujourd'hui. Possible ou non, habile ou pas, ce ne serait pas honnête. Ce ne serait pas conforme surtout à ce que doit être, plJr rapport à un liyre, la réserye de celui qui l'a écrit. Un liyre se produit, éy;,nement minuscule, petit objet maniable. Il est pris dès lors dans un jeu incessant de répétitions; ses doubles, autour de lui et bien loin de lui, se mettent à fourmiller; chaque lecture lui donne, pour un instant, un corps impalpable et unique; des fragments de lui-même circulent qu'on fait yaloir pour lui, qui passent pour le contenir presque tout entier et en lesquels finalement il lui arriye de trouyer refuge; les commentaires le dédoublent, autres discours où il doit enfin paraître lui-même, ayouer ce qu'il a refusé
de
dire, se déliyrer de ce que, bruyamment, il feignait
d'être. La réédition en un autre temps, en un autre lieu est encore un
de
ces doubles: 'ni tout à fait leurre ni tout à fait iden
tité. La tentation est grande pour qui écrit le liyre de faire la loi à tout ce papillotement de simulacres, à leur prescrire une forme, à les lester d'une identité, à leur imposer une marque qui leur donnerait à tous une certaine yaleur constante.
«
Je suis l'auteur:
regardez mon yisage ou mon profil; yoici à quoi deyront ressembler toutes ces figures redoublées qui yont circuler sous mon nom; celles qui s'en éloignent ne yaudroni rien; et c'est à leur degré
de
ressemblance que
YOUS
pourrez juger de la yaleur des autres. Je
suis le nom, la loi, l'âme, le secret, ta balance de tous ces doublb.:.
Il
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Hiatpire
de
la
folie
Ainsi s'écrit la Préface, acte premier par lequel commence à .'établir la monarchie dll l'auteur, décla,.ation de tyrannie: mon intention doit être l'otre précepte; l'OUS pliere% 1I0tre lecture, analyses, l'OS critiques,
à
Il,,.
ce que j'ai l'oulu faire, entende% bien
ma modestie : quand je parle des limites de mon entreprise, j'entends borner l'otre liberté; et si je proclame mon sentiment d'al'oir été inégal
à
ma edcM, c'est que je ne peux pa. l'OUS laisser
le pril'ilègll d'objllcter à mon lipre le fantasmll d'un autre, tout proche de lui, mais plus beau que ce qu'il est. JIl suis le monarque des choses que i' ai dites et je garde sur elles une éminente soul'eraineté : celle de mon intention et du sens que j'ai 1I0ulu leur donner. Je poudrais qu'un lil're, au moins du côté de celui qui l'a écrit, ne soit rien d'autre que les phra.es dont îl est fait; qu'il ne
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dédouble pa. dans ce premier simulacre de lui-même qu'est une préface, et qui prétend donner sa loi l'allenir être formés
à
à
tous ceux qui pourront à
partir de lui. Je 1I0udrais que cet objet.
épénllment, presque imperceptible parmi tant d'autres, se recopie, se fragmente, se répète, se simule, se dédouble, disparaisse
finale
ment sans que celui à qui il est arriflé de le produire, puisse jamais rel'endiquer le droit d'en être le maître, d'imposer ce qu'il floulait dire, ni de dirll ce qu'il devait être. Bref, je lIoudrais qu'un lipre ne se don