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979-10-209-0550-5
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Bernard Stiegler
QU’APPELLE-T-ON PANSER ? 1. L’immense régression
ÉDITIONS LES LIENS QUI LIBÈRENT
Pour Elsa
La presse, la machine, le chemin de fer, le télégraphe sont des prémisses dont personne n’a osé tirer la conclusion pour les mille ans qui viennent. Frederic Nietzsche Partout paralysie, peine, engourdissement, ou bien antagonisme et chaos. […] L’ensemble ne vit même plus : il est composite, calculé, artificiel, c’est un produit de synthèse. Frederic Nietzsche cité par Robert Musil Nous vivons l’époque la plus remarquable de l’histoire. Comme jamais auparavant, l’homme regardant en arrière contemple un panorama de progrès miraculeux ; et comme jamais auparavant, il est à la recherche de son avenir. La satisfaction que nous trouvons à être à la fois spectateurs et acteurs d’un drame captivant est considérablement refroidie par le fait que la perspective n’est pas réjouissante. Alfred Lotka
L’homme désapprend à agir. Il ne fait plus que réagir. Frederic Nietzsche L’implosion barbare n’est nullement exclue […] dans un monde qui vieillit, qui durcit, qui se rigidifie […] qui devient un monde du mal. Félix Guattari Pour quelle raison tous ceux qui ont été des hommes d’exception [perittoi : extra-ordinaires, passant la limite], en ce qui regarde la philosophie, la science de l’État, la poésie ou les arts, sont-ils manifestement mélancoliques ? Aristote
CHAPITRE PREMIER
« L’implosion barbare n’est nullement exclue » À propos du mal-être de Félix Guattari
Pour saluer Rudolf Boehm
1. Crainte, peur, courage et parrêsia Frederic Nietzsche, Robert Musil, Martin Heidegger, Félix Guattari et quelques autres encore, bien connus des philosophes (notablement Günther Anders, Hannah Arendt et Paul Virilio), mais aussi, à bien des égards, Alfred Lotka et Arnold Toynbee : tous ces penseurs ont plus ou moins anticipé ce qui advient à présent. J’ai moi-même tenté de cerner ce présent comme ce qui, à y regarder de plus près, n’advient pas vraiment. Je l’ai fait en parlant d’absence d’époque, et en explorant la relation qui s’est établie entre ce que l’on appelle de nos jours la disruption et les diverses formes de la folie contemporaine – depuis la folie telle qu’elle se manifeste par des comportements « extra-ordinaires », connus et reconnus comme « fous » en cela même, jusqu’à ce que, dans un double
numéro thématique de la revue Esprit ayant pour titre Aux bords de la folie, Michaël Fœssel avait appelé « la folie ordinaire du pouvoir ». Cette folie, dont on peut tout craindre, qui porte en elle le pire, et qui en cela fait peur, nous devons la craindre en effet, mais nous devons aussi et surtout l’observer et la panser – ce qui requiert le « courage de la vérité » tel qu’il constitue ce que les Grecs et après eux Foucault appelaient la parrêsia. Tout cela appartient à ce qui fut nommé en 2004 par Ralph Keyes la post-truth era – d’une certaine manière anticipée par Musil. Donald Trump – d’une certaine manière anticipé par Alfred Jarry – est devenu président en pratiquant un simulacre de parrêsia. C’est pourquoi une réinterprétation totale de l’histoire de la vérité est requise dans l’actuelle absence d’époque – si l’on veut du moins panser la folie qui résulte d’une telle absence, ce qui veut dire tout d’abord : apprendre quelque chose de cette folie, sous ses formes les plus diverses. Dans un tel apprentissage, le courage est requis. Le courage est ce qui craint un danger sans en avoir peur, c’est-à-dire : sans chercher à lui échapper, mais en le combattant comme tel. Ce combat comme tel – et, quant à ce « comme tel », tel qu’il définirait la pensée, nous devrons repasser par De l’esprit. Heidegger et la question 1 –, c’est ce qu’après le 11 septembre 2001 j’ai appelé la pharmacologie. Le courage de cette pensée qui panse est