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Les structures complexes de l’imagination selon et au-delà de Husserl 1 M ARC R ICHIR 1. 1.1 I MAGINATION H UA XXIII 2 ET S PALTUNG DANS ET DEPUIS LE TEXTE N o 16 DE Ouverture Avant d’entrer dans le détail des analyses que nous allons étudier de près, citons ce passage, qui dresse le cadre des questions qui vont nous préoccuper : ... quand une situation triste me flotte (mir vorschwebt) dans la phantasia, la tristesse, ou bien relève de la phantasia, en l’occurrence quand je me « phantasme » moi-même dans (hineinphantasiere in) la connexion de phantasia, et en tant que [m’] attristant (je me tiens par exemple auprès du cercueil du représenté comme défunt dans la phantasia et je m’attriste), ou bien je ne m’y « phantasme » pas, moi et ma tristesse, et je « phantasme » [quelqu’]un d’autre attristé, sa tristesse est alors « phantasmée », ou bien enfin je ne « phantasme » pas du tout de tristesse et j’« éprouve » effectivement de la tristesse sur la base de la représentation. Dans le dernier cas je peux dire : Posé que ce soit effectivement réel, ce serait triste. [...] (466) Notons d’abord que, dans nos distinctions architectoniques 3 , la phantasia ici désignée par Husserl est plutôt l’imagination sans le support externe d’une image existant sur un support physique, dans la mesure où il y a chaque fois une intentionnalité visant un objet : la transposition architectonique de la phan1. Ce texte constitue le premier chapitre de l’Introduction de notre ouvrage : Phantasia, imagination, affectivité, Phénoménologie et anthropologie phénoménologique, à paraître, en 2004, aux éd. Jérôme Millon, dans la collection Krisis. 2. E. Husserl, Phantasie, Bildbewusstsein, Erinnerung, hrsg. von E. Marbach, Hua, Bd. XXIII, Martinus Nÿhoff, La Haye, 1980, pp. 464 - 477. Ce texte, que nous citerons suivi de l’indication de page entre parenthèses, date du printemps 1912. Tr. fr., Jérôme Millon, Coll. Krisis, Grenoble, 2002. 3. Cf. notre ouvrage : Phénoménologie en esquisses. Nouvelles fondations, Jérôme Millon, Coll. Krisis, Grenoble, 2000. 99 L ES STRUCTURES COMPLEXES DE L’ IMAGINATION SELON ET AU - DELÀ DE H USSERL 100 tasia dans l’imagination a déjà eu lieu, autrement dit l’imagination est déjà instituée. Trois cas, c’est remarquable, peuvent se présenter. Ou bien je m’imagine comme faisant partie de la scène imaginée et je m’imagine ma tristesse, ou bien je ne m’y imagine pas, et j’imagine la tristesse d’un autre qui se trouve dans la scène imaginée, ou bien encore je n’imagine aucune tristesse, et je l’éprouve effectivement sur la base de ce que j’imagine. Dans les deux premiers cas, donc, la tristesse est imaginée, alors que dans le dernier, elle est effectivement éprouvée ou ressentie. Ce qu’il nous faut relever d’emblée ici, c’est la circulation possible de l’affectivité entre trois postures, qui est caractéristique de la structure de « fantasme » mise en évidence par la psychanalyse. Ou bien je passe entièrement dans l’imagination au point de m’imaginer un « affect » que je n’éprouve pas effectivement, ou bien je n’y passe pas entièrement et j’imagine qu’un autre que moi (metteur ou mis en scène) éprouve le même « affect », ou bien je n’y passe pas du tout, et, me trouvant pour ainsi dire face à la scène imaginée, j’éprouve effectivement l’« affect ». Peut-on dire que, dans le premier cas, je suis entièrement passé dans la « vie en imagination », dans le second, que je m’en tiens relativement à distance, et dans le troisième, que, pour m’en tenir tout à fait à distance, j’éprouve l’affect comme si la scène imaginée était réelle? Et peut-on dire que, dans les trois cas, le statut de la scène imaginée n’est pas le même, jusques et y compris quant à sa Darstellbarkeit intuitive, eu égard non pas tant au Moi phénoménologisant qui