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POCHE N° 68/1966/TRACES USAGES JACQUETTE ET TRANCHE/TRES BEL OUVRAGE/GRAND CLASSIQUE/EXP?DITION RAPIDE DE VOTRE COMMANDE AVEC PROTECTION SOIGN?E DE VOS ARTICLES.PROFESSIONNEL DE LA VENTE A DISTANCE.FAST DELIVERY OF YOUR ORDER.ITEMS VERY WELL PACKED.SPECIAL CARE TAKEN (ref 58)
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Antoine de Saint-Exupéry Terre des hommes BeQ Antoine de Saint-Exupéry Terre des hommes roman La Bibliothèque électronique du Québec Collections Classiques du 20ème siècle Volume 46 : version 1.0 2 Du même auteur, à la Bibliothèque : Lettre à un otage Vol de nuit Courrier sud 3 Terre des hommes (Gallimard, 1939. Quatre-vingt et unième édition.) 4 Henri Guillaumet, mon camarade, je te dédie ce livre. 5 La terre nous en apprend plus long sur nous que les livres. Parce qu’elle nous résiste. L’homme se découvre quand il se mesure avec l’obstacle. Mais, pour l’atteindre, il lui faut un outil. Il lui faut un rabot, ou une charrue. Le paysan, dans son labour, arrache peu à peu quelques secrets à la nature, et la vérité qu’il dégage est universelle. De même l’avion, l’outil des lignes aériennes, mêle l’homme à tous les vieux problèmes. J’ai toujours, devant les yeux, l’image de ma première nuit de vol en Argentine, une nuit sombre où scintillaient seules, comme des étoiles, les rares lumières éparses dans la plaine. Chacune signalait, dans cet océan de ténèbres, le miracle d’une conscience. Dans ce foyer, on lisait, on réfléchissait, on poursuivait des confidences. Dans cet autre, peut-être, on cherchait à sonder l’espace, on s’usait en calculs sur la nébuleuse d’Andromède. Là on aimait. De loin en loin luisaient ces feux dans la campagne qui réclamaient leur nourriture. Jusqu’aux plus discrets, celui du poète, de l’instituteur, du 6 charpentier. Mais parmi ces étoiles vivantes, combien de fenêtres fermées, combien d’étoiles éteintes, combien d’hommes endormis... Il faut bien tenter de se rejoindre. Il faut bien essayer de communiquer avec quelques-uns de ces feux qui brûlent de loin en loin dans la campagne. 7 I La ligne C’était en 1926. Je venais d’entrer comme jeune pilote de ligne à la Société Latécoère qui assura, avant l’Aéropostale, puis Air-France, la liaison ToulouseDakar. Là j’apprenais le métier. À mon tour, comme les camarades, je subissais le noviciat que les jeunes y subissaient avant d’avoir l’honneur de piloter la poste. Essais d’avions, déplacements entre Toulouse et Perpignan, tristes leçons de météo dans le fond d’un hangar glacial. Nous vivions dans la crainte des montagnes d’Espagne, que nous ne connaissions pas encore, et dans le respect des anciens. Ces anciens, nous les retrouvions au restaurant, bourrus, un peu distants, nous accordant de très haut leurs conseils. Et quand l’un d’eux, qui rentrait d’Alicante ou de Casablanca, nous rejoignait en retard, le cuir trempé de pluie, et que l’un de nous, timidement, l’interrogeait sur son voyage, ses réponses brèves, les jours de tempête, nous construisaient un monde 8 fabuleux, plein de pièges, de trappes, de falaises brusquement surgies, et de remous qui eussent déraciné des cèdres. Des dragons noirs défendaient l’entrée des vallées, des gerbes d’éclairs couronnaient les crêtes. Ces anciens entretenaient avec science notre respect. Mais de temps à autre, respectable pour l’éternité, l’un d’eux ne rentrait pas. Je me souviens ainsi d’un retour de Bury, qui se tua depuis dans les Corbières. Ce vieux pilote venait de s’asseoir au milieu de nous, et mangeait lourdement sans rien dire, les épaules encore écrasées par l’effort. C’était au soir de l’un de ces mauvais jours où, d’un bout à l’autre de la ligne, le ciel est pourri, où toutes les montagnes semblent au pilote rouler dans la crasse comme ces canons aux amarres rompues qui labour