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J t ".\ GASTON BACHELARD Fragments d'une Poétique du Feu ÉTABUSSEMENT DU TEXTE AVANT·PROPOS ET NOTES PAR SUZANNE BACHELARD Presses Universitaires de France A V ANT-PROPOS Un livre vécu .-~ L 2839 ISBN 2130414.540 ianvi~r, 1988 o Pr~SKS Univ~rsitairu d~ France, 1988 DEp6t IEgal - l" blition : 108, boul~vard Sainl·G~rmain, 7S006 Paris Dans le courant de l'année 1959, après la publication de La Poétique de l'Espace (1957) et la remise à l'éditeur du manuscrit de La Poétique de la Rêverie, mon père entreprit la rédaction d'un nouveau livre. Le désir l' habitait depuis longtemps de reprendre le thème inaugural, le Feu, de ses études sur les éléments, selon une ligne d'intérêt différente qui était déjà manifeste dans les deux « Poétiques», Mon père s'en est expliqué dans les textes que nous publions. Quand mon père entreprenait la rédaction d'un livre, après des lectures nombreuses et des notes accumulées, il commençait par le commencement du livre, il ébauchait l'introduction, plus exactement le commencement de l'introduction, parfois avec une note marginale: « 'un début possible ». II travaillait par reprise et rectification. Il ne raturait pas. 11 annotait le déjà écrit et récrivait. Nombreuses sont les pages où n'étaient marquées que les premières phrases auxquelles il attachait une valeur dynamique. Je me sou- 6 Avant-propos viens qu'en lisant les Monologues de Schleiermacher il me parla avec admiration du « grand coup d'archet» par lequel commence le livre : « Keine kôstlichert; Gabe vermag der Mensch dem Menschen anzubieten, ais war er im Innersten des Gemüths zu sich selbst geredet hat. » Ecrire les premières pages, c'était prendre son élan, se donner connance. Ces pages ébauchées, la ligne d'intérêt suffisamment définie pour être un premier guide, il se mettait à la tâche, dans un continuel va-et-vient entre l'introduction et les chapitres du livre. . Cette {ois. le livre projeté est resté, pour reprendre une expression de mon père, « en chantier ». Le livre n'est pas resté seulement inachevé. Le livre s'est [ait plusieurs. Les intérêts se sont multipliés, entrecroisés. Le choix - difficile - est resté ouvert. Mon père voulait s'engager dans une expérience poétique novatrice. C'est ainsi qu'il désigna d'abord le livre à venir sous le titre:« Le Feu vécu ». Nous transcrivons la toute première ébauche de ce projet initial, trouvée dans un dossier isolé sous le titre « Le Feu vécu» : « D'une flamme contemplée faire une richesse intime, d'un foyer qui chauffe et qui illumine, faire un feu possédé, intimement possédé, voilà toute l'étendue d'être que devrait étudier une psychologie du feu vécu. Cette psychologie décrirait, si elle pouvait trouver une cohésion des images. une intériorisation des puissances d'un cosmos; nous prendrions conscience que nous sommes feu vivant dès que nous acceptons de vivre les images, les images d'une prodigieuse variété que nous offrent le Un livre vécu 1 1 1 ,1 ,1 . ~ ! 7 feu, les feux, les flammes et les brasiers. Et la plus grande leçon que nous trouverions dans une psychologie du feu vécu, c'est peut-être de nous ouvrir à une psychologie de l'intensité - de l'intensité pure - de l'intensité d'être. Si nous pouvions déjà montrer que l'être du feu est l'être d'une intensité, nous pourrions tenter d'exposer la réciproque. En nous l'être monte et descend, l'être s'illumine ou s'assombrit, sans jamais reposer dans un Uétat", toujours vivant dans la variation de sa tension. Le feu n'est jamais immobile. II vit quand il dort. Le feu vécu porte toujours le signe de l'être tendu. Les images du feu sont, pour l'homme qui rêve, pour l'homme qui pense, une école d'intensité. Mais, au bénéfice de ces images d'inte