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Marc Richir | De la révolution phénoménologique : quelques esquisses De la révolution phénoménologique : quelques esquisses1 Marc Richir §1. La situation de la philosophie classique et de la philosophie critique : esquisse. La situation respective de la philosophie classique et de la philosophie critique se trouve remarquablement exposée par Kant dans un passage du célèbre chapitre de la Critique de la Raison pure sur la distinction entre phénomènes et noumènes. Nous suivrons ici le texte de la première édition. Kant commence par écrire, dans ce passage : "Les apparitions (Erscheinungen), dans la mesure où elles sont pensées comme objets (Gegenstände) selon l'unité des catégories, s'appellent phénomènes (Phaenomena). Mais si j'admets des choses qui soient simplement objets (Gegenstände) de l'entendement et qui cependant, en tant que telles, peuvent être données à une intuition quoique non pas à l'intuition sensible (donc en face de l'intuition intellectuelle), ces choses devraient être appelées des noumènes (intelligibilia)." (A 249) La position des choses comme noumènes caractérise clairement la situation de la philosophique classique dans son ensemble - ce que nous pourrions nommer l'institution platonicienne de la philosophie -, celle que l'on retrouve encore chez Descartes, quand il explique dans les Secondes Réponses2, sur l'exemple du ciel, que la vision (sensible) d'une chose ne touche pas l'esprit, sinon en tant qu'il y a dans ou à côté de cette vision une vision (intuition) intellectuelle qui est l'idée de la chose, elle-même inhérente à l'esprit. La vision sensible relève de l'étendue, du corps, et donc de la "fantaisie" : elle n'est qu'une image de la chose qui y est dépeinte. L'idée cependant, pour être dans l'esprit, ne suffit pas pour assurer de l'existence de la chose dont elle est l'idée : il faut pour cela une cause réellement existante, et c'est donc tout à l'inverse que la chose même (chose en soi) doit être comprise comme la cause de la réalité objective de l'idée. Le présupposé de tout cela est très lourd : comme l'écrit encore Descartes, "nous ne pouvons rien concevoir que sous la forme d'une chose qui existe" 3 - l'existence étant possible ou contingente pour les choses limitées, parfaite ou nécessaire pour Dieu ; il s'agit là d'une répétition implicite de l'argument ontologique (la dite existence étant "contenue" ou "comprise" au moins comme possible ou contingente dans le concept ou l'idée d'une chose limitée). On aura reconnu au passage les problèmes posés, depuis, Platon, par le chôrisomos du "sensible" et de l'"intelligible", ainsi que les apories ici implicites de la participation (methexis) (cf. par ex. Platon, Rép., VI, 507 sv et Parménide, 131a - 135 c)4 . Si la séparation entre sensible et intelligible était complète, je n'aurais, d'un côté, qu'une "imagination" de la chose sans savoir de quelle chose il s'agit au juste, et, de l'autre côté, qu'une idée (à noter, car c'est essentiel : inétendue donc non figurative) de la chose, 1 Nota del Editor: Este texto es la versión original de una intervención de Marc Richir en un congreso, organizado por la sociedad alemana de fenomenología, en Wuppertal, en el verano de 2005. Apareció en traducción alemana en las actas de dicho congreso bajo el título: « Über die phänomenologische Revolution: einige Skizzen » in Phänomenologie der Sinnereignisse. Wilhelm Fink Verlag, Paderborn. 2011. Editado por László Tengelyi, Tobias Nikolaus Klass, Hans-Dieter Gondek. Marc Richir ha tenido la suma amabilidad de permirle a Eikasia la publicación de este texto, aún inédito en su lengua original. 2 Descartes Œuvres et lettres, Gallimard, Bibl. de la Pleiade, Paris, 1953, p. 394. Ce texte se trouve dans les "Raisons disposées d'une façon géométrique", parmi les "Axiomes ou Notions communes". 3 Ibid., p. 395. 4 Cf. aussi Philè